Double port franco allemand 1870-1872
Au 28 janvier 1871, jour de l'armistice signé entre Otto von Bismark pour les états allemands et Jules Favre pour la France, les armées allemandes occupaient 30 départements français en tout ou partie.
Lettre postée le 8 février 1871 à CAMBRAI (zone libre) pour ST QUENTIN (zone occupée). Les postiers à ST QUENTIN ont apposé une taxe à 2 décimes.
Extrait du Bulletin Mensuel n° 27 de septembre 1870.
L'Armistice est signé le 28 janvier 1871. L'article 15 de cette convention prévoyait que : "Un service postal pour des lettres non cachetées sera organisé entre Paris et les départements par l'intermédiaire du quartier général de Versailles".
Concernant cet article, une convention entre Germain Rampont (Directeur général des postes) et Joseph Rosshirt (Administrateur des postes dans les territoires occupés) stipulait dans son article premier que : "Les lettres simples de Paris pour le territoire français occupé par les troupes allemandes, et. vice versa, supporteront une taxe de 40 centimes. Chacune des parties contractantes percevra 20 centimes, de façon à ce qu'il ne soit établi aucun décompte pour l'échange de ces lettres. Pour les lettres dont le poids dépassera 10 g, la taxe sera établie d'après la progression française des lettres affranchies. Les lettres dont il s'agit seront livrées à l'Office allemand, à Versailles, triées par département".
En plus des timbres français couvrant le port français et pour peu qu'il puisse s'en procurer, le public avait la possibilité d'affranchir totalement les lettres avec des timbres d'occupation couvrant le port allemand. Parallèlement à cette convention, la taxe sur les lettres circulant entre zones occupée et libre (hors Paris) à percevoir sur les destinataires restait fixée à 30 centimes (ordre de service du 28 janvier 1871).
Le 27 février 1871, le Moniteur universel publiait un avis au public daté du 25 annonçant le rétablissement du trafic postal entre départements occupés et non occupés. La taxation des lettres étant identique à celle des lettres de Paris et les départements occupés publiée presque un mois plus tôt : "Les lettres des départements occupés pour les départements non occupés, et vice versa, supporteront une surtaxe de 20 centimes par lettre simple, qui devra toujours être payée par le destinataire".
Le 10 mars 1871, une convention postale (valable dès le 24 mars) entre Rampon et von Stephan permettant à l'Administration des postes française de reprendre en main le service postal dans les départements occupés. Le port mixte cessait donc d'exister dans ces départements, mais continuait dans les relations postales avec les territoires "cédés" de l'Alsace et de la Lorraine.
Le 23 mars, le Directeur général des postes de STRASBOURG, Albert Miessner, publiait l'avis 167 imposant en Alsace-Lorraine une taxe à 30 c payable par les destinataires sur toutes les correspondances provenant de France.
Extrait de l'avis n° 167 publié dans les Verordnungen und Amtliche Nachrichten für Elsass-Lothringen.
Le 24 juillet, le Directeur Miessner faisait paraître un nouvel avis annonçant qu'à partir du 1ᵉʳ août, la taxe réclamée aux destinataires des lettres provenant de France allait passer à 20 centimes.
Avis n° 261 publié dans les Verordnungen und Amtliche Nachrichten für Elsass-Lothringen.
Depuis octobre 1870, l'Administration des postes la Confédération de l'Allemagne du Nord (Norddeutsche Postverwaltung) faisait reposer la gestion de l'activité postale dans les territoires occupés sur 3 entités :
- la Direction générale des postes pour l'Alsace (Oberpostdirektion für Elsass) dont le siège était à STRASBOURG depuis le 4 octobre ;
- la Direction générale des postes pour la Lorraine (Oberpostdirektion für deutsch Lothringen), d'abord à NANCY dès le 6 octobre, puis à METZ dès le 31 octobre 1870 ;
- l'Administration des postes pour les territoires occupés (Administration der Posten in den besetzten französischen Gebieten) d'abord à NANCY le 24 août 1870, ensuite à REIMS dès le 6 octobre 1870.
La raison pour laquelle ces 3 administrations ont été mises en place, c'est que dès le départ, les allemands avaient la volonté d'annexer l'Alsace et la Lorraine et donc d'y installer une administration durable. La circulaire n° 73 du 13 octobre 1870 du journal officiel des postes de la Confédération de l'Allemagne du Nord reprend une ordonnance de Guillaume 1ᵉʳ datant du 12 septembre :"En réponse à votre rapport du 12 de ce mois, j'autorise que le système postal dans la zone du Gouvernement Général d'Alsace et de Lorraine allemande soit immédiatement et définitivement organisé par l'Administration des postes de la Confédération de l'Allemagne du Nord, et qu'à cet effet deux directions générales des postes soient créées, ainsi que l'administration provisoire des postes dans les autres territoires français occupés sur la base des institutions existantes".
De plus, le 6 septembre (circulaire n° 64), l'Administration des postes de la Confédération de l'Allemagne du Nord annonçait l'émission de timbres d'occupation avec valeur en centimes (improprement appelés timbres d'Alsace-Lorraine par les collectionneurs). Ces timbres étaient déjà imprimés depuis début août.
Au 24 mars 1871, le service postal repassait sous administration française dans tous les départements sauf ceux du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, une partie du département des Vosges et de la Meurthe qui était annexée par l'Allemagne (annexion entérinée par le traité de Francfort signé le 10 mai 1871).
Pendant toute la durée de la guerre les relations postales entre belligérants ont été maintenues, ce qui peut surprendre à notre époque. Ces relations ne se faisaient plus directement, mais restaient possibles par la voie des pays qui n'avaient pas pris part au conflit, comme la Suisse, la Belgique et la Grande-Bretagne, par exemple.
Néanmoins, force est de constater qu'entre le début de la guerre et l'armistice, le flux de courrier circulant entre la zone libre et la zone occupée a été très faible. En effet, le courrier d'affaires s'était pratiquement arrêté faute d'échanges commerciaux possibles entre les 2 zones et il ne restait que le courrier personnel.
Lettre affranchie à 25 c (tarif du 01/09/1871) pour MUNSTER. Taxe "20" apposée à MULHOUSE.
Lettre affranchie à 25 c (tarif du 01/09/1871) pour COLMAR. Taxe "2" Groschen apposée à MULHOUSE.
Lettre de LAPOUTROIE (SCHNIERLACH) pour LILLE affranchie à 2 gros en timbres de l'Empire. Taxe à 25 c apposée à l'encre rouge par l'ambulant AVRICOURT à PARIS.
Pendant toute la période du port mixte, on peut rencontrer un grand nombre de timbres de taxe français ou allemands.
Depuis la déclaration de guerre, la France et l'Allemagne avaient des relations postales sans convention postale. Le 12 février 1872, une convention exécutoire au 25 mai est enfin signée. Le système du port mixte prend fin.
Lettre affranchie à 40 c selon la convention franco-allemande de 1872 pour SCHILTIGHEIM.
Où trouver les informations?
Pour aborder les tarifs postaux français sans forcément devoir consulter les règlements postaux: les tarifs postaux français de Jean-Louis Bourgouin.
Doppelporto und Doppelfrankierung 1870 bis 1872. Friedrich Spalink, 1999.
Bulletins mensuels n° 27 (Septembre 1970) et 28 (juillet 1871), Administration des postes.
Amtblatt der Norddeuschen Postverwaltung 1870. Circulaires 64 (6 septembre) et 73 (13 octobre).
Verordnungen und Amtliche Nachrichten für Elsass-Lothringen aus der Zeit von Beginn der deutschen Okkupation bis Ende März 1872. Avis 167 et 261.
Carte des territoires français occupés au 28 janvier 1871.
Trait noir: limite de l'avancée des armées allemandes
Trait jaune: territoires annexés.
Le double port, une expression communément utilisée, mais pour le moins erronée.
Les philatélistes utilisent l'expression "double port franco-allemand" pour les lettres portant un affranchissement mixte en timbres d'occupation et en timbres français ou un affranchissement partiel (en timbre français ou d'occupation) et une taxe apposée à l'arrivée (en zone libre ou dans les territoires occupés). Le double port signifie plutôt le port d'une lettre dont le poids est compris entre 10 et 20 g (pour la période qui nous intéresse), donc supérieur à la lettre simple.
Or, les lettres qui ont circulé entre la zone occupée et la zone libre étaient pour la plupart des lettres simples dont le port n'a jamais été arbitrairement doublé.
On devrait plutôt parler de port mixte, car les conventions postales ne s'appliquant plus entre les états belligérants, il n'y avait plus de compensation en fin d'année et chacune des administrations (française et allemande) récupérait directement une partie du port sur l'expéditeur ou le destinataire.
La mise en place et l'usage du port mixte.
L'installation à Nancy d'une administration postale pour les territoires occupés dirigée par Joseph Rosshirt avait pour but de remettre sur pied un service postal qui avait cessé d'exister. Ce service devait être rentable et reposer sur la coopération supposée des fonctionnaires français encore présents. Il s'appuyait aussi sur la possibilité d'échanges postaux entre les zones libres et occupées.
Or, dès le départ, les fonctionnaires français restés en poste refusèrent de coopérer avec les allemands.
Dès le 27 août 1870, Heinrich von Stephan, Directeur général des postes de la Confédération de l'Allemagne du Nord, propose un compromis à Edouard Vandal son homologue français à Paris :
"Monsieur le Directeur Général,
Les bureaux de postes situés dans le territoire français occupé par les armées allemandes reçoivent souvent des correspondances destinées pour la France.
J'ai l'honneur de vous informer que le bureau ambulant N° 10 Cologne-Verviers délivrera ces correspondances aux bureaux d'échanges français sans taxe ni décompte (l'affranchissement obligatoire ayant été décrété pour ces objets).
Je me permets de vous proposer, Monsieur le Directeur général, de vouloir bien faire traiter de la même manière les correspondances originaires de la France à destination des territoire français occupés par les armées allemandes [...]"
Cette proposition, quoique très intéressante pour les usagers et facilitant pour le traitement des correspondances, impliquait pour l'Administration française la validité d'une administration postale étrangère sur son propre territoire (fusse-t-il occupé). Nous le verrons plus tard, mais elle reposait aussi sur la validité des affranchissements en timbres d'occupation en cours de livraison pour la totalité du port intérieur jusqu'au destinataire. Ce dernier point n'était à vrai dire pas très clairement exprimé. Dans l'esprit de von Stephan, en effet, l'affranchissement à 20 centimes en timbres d'occupation couvrait la totalité du port intérieur français (zone occupée + zone libre) jusqu'au destinataire.
L'administration française a été très tôt au courant (avant le courrier du 27 août) des volontés de l'administration postale allemande. Elle ne pouvait accepter cet état de fait et le 8 septembre faisait paraitre un ordre de service reproduit dans le bulletin mensuel n° 27 de septembre 1870 dans lequel il était stipulé que les lettres provenant des territoires occupés devaient être considérées comme des lettres non affranchies et taxées à 30 centimes à moins qu'elles portent des timbres français.
Le 10 septembre 1870, Vandal répondait à von Stephan:
"Monsieur le Directeur général,
Je m'empresse de vous accuser réception de la lettre en date du 27 août dans laquelle vous me donnez avis des mesures prises par votre Administration en vue d'assurer l'acheminement des correspondances recueillies dans les départements occupés par les armées allemandes et qui sont à destination du reste de la France.
Je donne des ordres pour qu'en sens inverse les correspondances à destination des départements dont il s'agit soient livrés sans taxes ni décompte au bureau ambulant n° 10 [...]."
Clairement, si les postes françaises étaient prêtes à un échange de correspondances, elles se refusaient à admettre la validité des affranchissements en timbres d'occupation pour la totalité du parcours jusqu'au destinataire.
Le port mixte peut donc être considéré comme en place côté français dès le 8 septembre 1870.
Côté allemand, on a dû être surpris. Ainsi von Stephan a écrit à Rosshirt le 19 septembre lui demandant de procéder comme les français :
"Grand Quartier Général, Meaux, 19 septembre,
D'après l'extrait ci-joint du Journal des Débats du 11 septembre, votre attention sera attirée sur le fait que la France taxe au tarif des lettres non affranchies de 30 centimes toutes les lettres qui arrivent des parties occupées du pays pour être remises à l'administration postale française - indépendamment du fait qu'elles ont déjà été affranchies par les expéditeurs à 20 centimes lors de leur remise à la poste. Au vu de ces éléments, il semble opportun que nous observions, pour notre part, une procédure identique dans le sens inverse. En conséquence, je vous charge de faire prélever désormais une taxe de 30 centimes par poids simple sur toutes les lettres qui nous parviennent de la zone de l'administration postale française pour les destinataires des territoires français occupés, quel que soit l'affranchissement qui a eu lieu en France, lors de la remise aux destinataires.
Les bureaux de poste civils et les bureaux de poste de campagne, dont vous connaissez l'existence, recevront dans les plus brefs délais les instructions correspondantes - avec référence à l'instruction contraire déjà donnée oralement par moi à certains d'entre eux - ainsi qu'en ce qui concerne le règlement des montants prélevés [...]".
Extrait du Journal des débats du 11 septembre 1870.
Von Stephan avait donc bien cru que les français accepterait complétement sa proposition.
A son tour, Rosshirt a fait publier le 3 octobre la circulaire n° 10 de l'Administration des postes pour les territoires occupés :
"Selon un avis publié dans les journaux français, l'administration postale française taxe les lettres qui lui sont adressées depuis les territoires occupés par l'intermédiaire des bureaux de postes allemands au tarif des lettres non affranchies de 30 centimes lors de leur remise au destinataire. Il n'y a pas de différence si les lettres ont déjà été suffisamment affranchies par l'expéditeur ou non. Dans cette perspective, il est décrété que les bureaux de poste fonctionnant dans les territoires français occupés percevront une taxe de 30 centimes par poids simple de 10 g lors de la remise aux destinataires pour toutes les lettres reçues de la zone de l'administration postale française pour des destinataires dans lesdits territoires, indépendamment de tout affranchissement effectué au lieu de dépôt".
Le 3 octobre est donc la date de mise en place du port mixte côté allemand.
En pratique, la taxe des 30 centimes a été très diversement appliquée. On rencontre très souvent une taxe à 2 décimes (20 centimes), sans qu'on en connaisse les raisons.
Lettre postée le 30 avril 1871 à CAMBRAI pour ARS SUR MOSELLE affranchie
à 20 c.
Taxe à 30 centimes payée par le destinataire. Le timbre de taxe "30" a été apposé par le bureau de METZ.
De MAUBEUGE à VILLERUPT, le 16 juillet 1871. La lettre a transité par METZ qui a apposé la taxe "30".
La lettre a été mal dirigée, puisque VILLERUPT, occupée par les allemands, est retournée à la France avec le traité de Francfort en mai 1871. La taxe "30" a donc été annulée à l'arrivée.
LE CATEAU, le 10 août 1871. Lettre pour ARS SUR MOSELLE. Taxe "20" apposée à METZ.
Lettre postée à RAISMES, le 31 août 1871 pour ENGIS SUR MEUSE qui a été mal dirigée et a transité par METZ (taxe "20") alors qu' ENGIS est une commune belge.
L'affranchissement à 20 c étant insuffisant pour la Belgique, la lettre a été taxée à 3 décimes.
Taxe "20" sur une lettre pour MULHOUSE. Ce cachet de taxe était utilisé à MULHOUSE.
Lettre du 21 février 1872 de LILLE pour SARREGUEMINES.
Taxe "2" Groschen apposée à METZ le 22 février.
Le changement du tarif intérieur, le 1ᵉʳ septembre 1871, mais la taxe à percevoir dans les territoires annexés par l'Allemagne ne change pas. Cependant, la taxe sur les lettres de ces territoires perçues en France passe de 20 à 25 centimes.